Baiser
Se donne à mon embrassement
Et ton oeil languit doucement
D'une paupière à demi close,
Dont elle est ardemment pleine
Et ne peut souffrir à grand'peine
La force d'un si grand plaisir.
Ma lèvre, et que si près je suis
Que la fleur recueillir je puis
De ton haleine ambroisienne,
Où nos deux langues qui se jouent
Moitement folâtrent et nouent,
Eventent mes douces ardeurs,
Avec les dieux, tant je suis heureux,
Et boire à longs traits savoureux
Leur doux breuvage délectable.
Est plus prochain, prendre ou me laisse,
Pourquoi me permets-tu, maîtresse,
Qu'encore le plus grand soit mien?
D'un si grand heur me fasse dieu?
Et que sans toi je vole au lieu
D'éternelle réjouissance?
Partout où sera ta demeure,
Mon ciel, jusqu'à tant que je meure,
Et mon paradis sera là.
JOACHIM DU BELLAY (1542)